Droit d’auteur et IA Générative : L’analyse du rapport du U.S. Copyright Office (Partie 1 - juillet 2024 & Partie 2 - janvier 2025)
L’intelligence artificielle bouscule le monde de la création en permettant de générer des œuvres d’une qualité proche de celles réalisées par des humains. Cependant, cette avancée technologique soulève des questions fondamentales sur la notion d’auteur et la protection juridique des œuvres produites par des systèmes d’IA. Peut-on protéger par le droit d’auteur une œuvre créée sans intervention humaine ? Quel rôle joue l’utilisateur dans la création d’un contenu généré par l’IA ?
Face à ces interrogations, le U.S. Copyright Office a publié un rapport détaillant les principes actuels du droit d’auteur et les ajustements potentiels à envisager. Ce document réaffirme un point clé : seule une création impliquant une intervention humaine peut être protégée par le droit d’auteur. Pourtant, à mesure que l’IA progresse, certains plaident pour une réforme afin de mieux encadrer ces nouvelles formes de création.
Source : 🔗 “Copyright and Artificial Intelligence Part 1: Digital Replicas & Part 2: Copyrightability”
Part 1 | Répliques numériques et IA générative : Le U.S. Copyright Office plaide pour un nouveau cadre légal
Face à la multiplication de ces copies réalistes – qu’il s’agisse de voix, d’images ou de vidéos – le U.S. Copyright Office a entrepris une étude approfondie sur le sujet. Son rapport met en lumière les lacunes des cadres juridiques actuels et recommande l’adoption d’une nouvelle loi fédérale pour encadrer l’utilisation de ces technologies.
Répliques numériques : un phénomène en pleine expansion
Avec les avancées de l'IA générative, il est désormais possible de créer des répliques numériques de personnes existantes avec un minimum d’expertise. Ces contenus, souvent diffusés sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne, posent des risques majeurs en matière de désinformation, fraude, diffamation et atteinte à la vie privée.
Un exemple marquant est la chanson "Heart on My Sleeve", qui a fait sensation en 2023 en imitant les voix des artistes Drake et The Weeknd sans leur consentement. Ce cas illustre parfaitement les défis que posent ces répliques numériques : elles peuvent induire le public en erreur et nuire aux personnes concernées sans qu’il existe aujourd’hui un cadre juridique clair pour y remédier.
Un cadre juridique fragmenté et insuffisant
Le rapport du Copyright Office examine les protections existantes contre l’usage non autorisé de répliques numériques et met en évidence plusieurs failles :
Droits à la vie privée et droit de publicité
Ces droits varient d'un État américain à l'autre :
- Certains États reconnaissent un droit de publicité post-mortem, permettant aux héritiers de contrôler l’usage de l’image ou de la voix d’un défunt.
- D'autres États ne prévoient aucune protection après la mort, laissant ainsi la porte ouverte à des utilisations abusives.
Lois fédérales existantes
Le rapport analyse l’applicabilité de plusieurs lois fédérales au phénomène des répliques numériques :
- 🔗 Copyright Act : Il est précisé qu’une voix n’est pas protégeable par le droit d’auteur. Cependant, la section 114(b) du Copyright Act pourrait s'appliquer à certains aspects du droit de publicité.
- 🔗 Federal Trade Commission Act and Lanham Act : Ces lois visent principalement la protection des consommateurs contre la publicité trompeuse, mais ne couvrent pas explicitement la reproduction non autorisée de l’image ou de la voix d’un individu.
- 🔗 Communications Act : Cette législation concerne principalement la diffusion médiatique et ne constitue pas un cadre adapté à la question des répliques numériques.
Vers une loi fédérale pour encadrer les répliques numériques
Face aux lacunes du cadre juridique actuel, le Copyright Office recommande l’adoption d’une nouvelle loi fédérale qui apporterait une protection cohérente et efficace. Voici les principales orientations suggérées :
➡️Définition claire des répliques numériques : Une réplique numérique doit être définie comme : "Un enregistrement vidéo, image ou audio qui a été créé ou manipulé numériquement pour représenter de manière réaliste mais fausse un individu."
➡️ Protection étendue à tous les individus : La loi devrait protéger tant les personnalités publiques que les citoyens ordinaires contre l’utilisation non autorisée de leur image ou de leur voix.
➡️ Encadrement strict de l'utilisation des répliques numériques :
- Interdiction de la distribution ou de la mise à disposition de répliques numériques non autorisées, à condition que l’auteur ait eu connaissance du caractère non autorisé de la réplique.
- Distinction entre usages commerciaux et non commerciaux, afin de ne pas restreindre les créations artistiques ou journalistiques.
- Application des principes de responsabilité secondaire, pour tenir responsables les plateformes facilitant la diffusion de répliques numériques abusives.
➡️ Possibilité de concéder une licence mais sans cession totale des droits :
- Un individu devrait pouvoir autoriser l'utilisation de son image ou de sa voix via une licence, mais sans céder définitivement tous ses droits.
- Cette mesure empêcherait les abus et garantirait que les contenus créés légalement restent exploitables après l’expiration d’une licence.
➡️ Protection des usages légitimes : Des exceptions doivent être prévues pour protéger :
- Le journalisme,
- Les œuvres artistiques,
- Les commentaires et parodies,
- Toute autre utilisation expressément protégée par le Premier Amendement aux États-Unis.
Les projets de loi en discussion
Le Copyright Office a également examiné plusieurs propositions législatives qui visent à réguler l’usage des répliques numériques, notamment :
- Le "No AI FRAUD Act", qui cible spécifiquement les arnaques et fraudes impliquant l’IA.
- Le "NO FAKES Act Discussion Draft", qui propose un cadre général pour encadrer les répliques numériques tout en respectant les libertés d’expression.
Ces initiatives témoignent de la prise de conscience croissante des risques liés à l’IA générative et de la nécessité d’une réaction législative rapide.
Conclusion partie 1 : un encadrement juridique indispensable face aux avancées de l’IA
Les répliques numériques offrent des opportunités inédites, mais aussi des défis considérables en matière de droits individuels et de régulation. Le rapport du U.S. Copyright Office met en lumière la nécessité d’un cadre législatif adapté pour prévenir les abus tout en garantissant les libertés fondamentales. Alors que les débats se poursuivent, il devient urgent d’adopter une législation claire et équilibrée pour protéger les individus tout en encourageant l’innovation responsable dans le domaine de l’IA.
Partie 2 | Droit d’Auteur et IA Générative : Le Copyright Office Pose des Limites Claires
Les IA peuvent aujourd’hui produire des œuvres qui ressemblent à des créations humaines, soulevant ainsi une problématique essentielle : ces productions peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur ? Dans un récent rapport (janvier 2025), le U.S. Copyright Office clarifie sa position en réaffirmant un principe fondamental : seules les œuvres issues d’une intervention humaine peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.
L'IA et la création artistique : Un enjeu juridique majeur
Le Copyright Office a lancé une initiative spécifique pour étudier les implications du droit d’auteur face à l’essor des créations générées par l’IA. Cette démarche s’est appuyée sur :
- Des sessions d’écoute publiques,
- Une consultation nationale ayant recueilli des milliers de commentaires,
- Une analyse des pratiques juridiques en vigueur aux États-Unis et à l’international.
L'objectif était de déterminer dans quelles conditions une œuvre générée avec l’IA peut être protégée par le droit d’auteur, et si une adaptation du cadre législatif est nécessaire.
La condition indispensable d’une intervention humaine
Le Copyright Act repose sur un principe fondamental : seuls les humains peuvent être auteurs. Ce postulat est basé sur la clause de droit d’auteur de la Constitution américaine et a été confirmé par plusieurs décisions judiciaires. Une IA ne peut donc pas être considérée comme auteur, car elle n’exerce pas une pensée originale propre. La Cour suprême des États-Unis a précisé que le terme « auteur » implique une personne à qui une œuvre est imputable. Cette exigence exclut toute production réalisée sans contribution humaine significative, comme l’a confirmé un jugement rejetant la protection d’une photographie prise par un singe (🔗 affaire Naruto c. Slater). Une œuvre exclusivement créée par une IA ne peut pas être protégée par le droit d’auteur aux États-Unis.
Les prompts : Une instruction, pas une création
L'une des questions soulevées dans le rapport est la suivante : l’écriture d’un prompt suffit-elle à faire de l’utilisateur l’auteur de l’œuvre générée ? Le Copyright Office répond non pour l’instant.
Un prompt (ou instruction donnée à l’IA) transmet une idée, mais ne contrôle pas précisément la manière dont l’IA l’exécutera.
- Même des prompts très détaillées ne garantissent pas que la sortie correspondra exactement aux intentions de l’utilisateur.
- Comme une commande passée à un artiste ou à un photographe, une simple instruction ne constitue pas un acte créatif suffisant pour revendiquer le droit d’auteur.
Quand une oeuvre générée par l’IA peut-elle être protégée ?
Bien que les œuvres entièrement produites par l’IA ne soient pas protégeables, la contribution humaine peut l’être sous certaines conditions. 🖊 Une création issue de l’IA peut être protégée par le droit d’auteur si un humain y apporte une intervention créative significative. Le rapport identifie deux cas où l’utilisateur peut revendiquer la paternité de l’œuvre :
1️⃣ L’intégration d’une œuvre existante : Si un utilisateur intègre une œuvre originale protégée par le droit d’auteur dans un système d’IA et que cette œuvre reste reconnaissable dans le résultat final, il demeure auteur de cette partie de l’œuvre générée.
2️⃣ La modification d’une œuvre générée par l’IA : Si un humain apporte des modifications créatives et ajoute une expression originale à une œuvre générée par l’IA, la version modifiée peut être protégée par le droit d’auteur.
Le niveau de contribution humaine nécessaire sera évalué au cas par cas.
Approche internationale : vers une convergence des règles ?
Les États-Unis ne sont pas les seuls à se pencher sur la question. Le rapport indique que plusieurs pays ont étudié l’éligibilité des productions générées par l’IA au droit d’auteur et en ont tiré des conclusions similaires.
📌L’Union européenne et la plupart des États membres ont estimé que les principes actuels du droit d’auteur suffisent pour encadrer les œuvres générées par l’IA, sans nécessiter de protection spécifique.
📌 Certains pays, comme le Royaume-Uni, envisagent toutefois des adaptations, notamment pour protéger les droits des créateurs et des investisseurs impliqués dans le développement de l’IA.
Vers un changement de législation aux États-Unis ?
Si le Copyright Office réaffirme que le droit d’auteur doit rester fondé sur la création humaine, certains plaident en faveur d’un changement législatif.
Arguments en faveur d’une réforme du droit d’auteur pour les œuvres générées par l’IA :
✅ Encourager l’innovation et l’investissement : Sans protection légale, les entreprises pourraient être moins enclines à investir dans les outils d’IA créative.
✅ Soutenir les créateurs handicapés : L’IA offre aux artistes en situation de handicap des opportunités uniques d’expression créative.
✅ Éviter un déséquilibre concurrentiel international : Si d’autres pays reconnaissent la protection du droit d’auteur pour les œuvres générées par l’IA, les États-Unis risquent de prendre du retard.
Arguments contre une protection spécifique des œuvres d’IA :
❌ Risque de dilution du droit d’auteur : Une trop grande prolifération d’œuvres générées par IA pourrait diminuer la valeur des créations purement humaines.
❌ Difficulté à identifier l’auteur légitime : Si l’IA est l’outil principal, qui détient réellement les droits d’auteur ? L’entreprise qui l’a développée, l’utilisateur ou le programmeur de l’algorithme ?
Conclusion partie 2 : Une surveillance juridique continue
Le Copyright Office a réaffirmé que le droit d’auteur ne protège que les éléments issus de l’activité humaine. Toutefois, il reste attentif aux évolutions technologiques et continuera d’ajuster sa doctrine si nécessaire.
Prochaines étapes :
- Publication d’orientations en matière d’enregistrement des œuvres hybrides IA/humain.
- Mise à jour du Compendium of U.S. Copyright Office Practices pour clarifier les règles d’enregistrement des œuvres assistées par IA.
- Poursuite des consultations avec les acteurs de l’industrie et les experts en droit de la propriété intellectuelle.
Conclusion : Vers un équilibre entre innovation et protection juridique
L’essor de l’IA générative bouleverse les principes établis du droit d’auteur et pose un défi juridique de taille : comment encadrer des créations hybrides où la machine joue un rôle déterminant ? Le U.S. Copyright Office adopte une approche prudente en réaffirmant l’importance de l’intervention humaine pour qu’une œuvre puisse être protégée. Toutefois, les débats restent ouverts, notamment sur l’évolution nécessaire des législations pour favoriser l’innovation tout en protégeant les créateurs. La question du statut juridique des œuvres générées par l’IA sera donc au cœur des réflexions futures sur la propriété intellectuelle, avec des implications majeures pour les artistes, les développeurs et l’industrie culturelle. À mesure que la technologie évolue, il est essentiel de trouver un équilibre entre la protection des droits des créateurs et la promotion de nouvelles formes d’expression artistique à l’ère du numérique.
Pour aller plus loin :
🔗 Comprendre le sommet pour l'action sur l'IA : objectifs, organisation et impacts: Cet article décrit le Sommet pour l'Action sur l'Intelligence Artificielle qui s'est tenu à Paris en février 2025, une initiative visant à favoriser les discussions et les initiatives autour des enjeux de l'IA à l'échelle internationale.
🔗 Données personnelles et Intelligence Artificielle (IA) : Le rôle des normes ISO/IEC 27701 et 42001: Dans un contexte où la gestion des données personnelles et l'utilisation éthique de l'IA sont au cœur des préoccupations, les normes ISO/IEC 27701 et ISO/IEC 42001 émergent comme des références importantes. Cet article offre un aperçu pratique et factuel de ces normes et de leur importance pour les organisations.
🔗 L'impact environnemental de l'intelligence artificielle et les enjeux juridiques : Le Cahier IP numéro 9 de la CNIL, intitulé « Données, empreinte et libertés : Une exploration des intersections entre protection des données, des libertés, et de l’environnement », fournit un éclairage essentiel sur les enjeux cruciaux liés à l'Intelligence Artificielle (IA), à la protection des données, et à l'empreinte environnementale.
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